mardi 8 décembre 2015

Tracasserie (#5)

"Chouette, il fera deux fois plus chaud demain ! Bon, vu qu'il fait 0°C, ben il fera... euh... <soupir>..."
Ou bien "S'il fait -8°C aujourd'hui et qu'il fait deux fois plus froid demain, je fais quoi ? -8 x -8 = +64°C ?!"

Et bien ami(e) lecteur(trice), réjouis-toi car à la fin de cet article, tu sauras répondre, non sans une certaine éloquence, à ces questions !

L'important, c'est de savoir de quoi on parle. Par exemple, si j'habite à 100 km de Tours (oui, on pourra me dire "T'habites à 100 km de Tours") et bien ce bon vieux Marcel qui habite à 200 km de cette ville habitera "deux fois" plus loin que moi de Tours : les "mètres" mesurent une distance, le zéro est à Tours et de là, on déroule un ruban et Marcel a un ruban deux fois plus long que le mien.



Même chose pour mmm... les densités de populations : on définit un espace (un kilomètre carré par exemple) et on regarde combien de gens, en moyenne, on trouve dans cet espace. On aime bien faire ça pour les pays (population du pays divisée par surface du pays) : on compte 337 japonnais contre 8 russes sur un km2. Au Vatican, on compte même 2 papes au km2 ! Bref, c'est pas compliqué (sauf quand il s'agit de faire ça pour les manifs mais c'est une autre histoire...).

Et bien LA question à se poser, c'est : qu'indique-t-on avec la température (je dis "indique" car la température est un indicateur et pas une mesure : elle ne s'additionne pas. Un litre d'eau à 10°C et un autre litre d'eau à 10°C donnent 2 litres d'eau à 10°C) ? Quand on saura ce qu'on indique, la référence correspondra au point où ce qu'on observe n'existe plus :
- zéro kilomètres de Tours quand on est à Tour ;
- zéro gens au kilomètre carré quand personne n'est là.

On me dit "De la chaleur !", ok, mais il y a des gens frileux et d'autres pas donc comment rester objectif ?
"De l'agitation, du bordel, quoi !", là, on se rapproche. La température indique effectivement à quelle point l'air est agité. Ou plus particuliérement, les molécules de l'air (car ce n'est pas parce qu'il y a un ouragan que l'air est très chaud).
Je ne vais pas rentrer dans le détail du bon vieux "PV = nRT" mais en gros :
- quand l'air est chaud, ses molécules sont très agitées ;
- quand il est froid, ses molécules le sont beaucoup moins ;
- quand plus aucune molécule ne bouge, on est au plus froid, c'est à dire ce qu'on appelle de façon un peu pompeuse "le zéro absolu".

La température de l'air indique donc le niveau d'agitation des molécules d'air avec pour référence le zéro absolu (tout comme on mesurait la distance entre chez nous et Tours en plaçant la référence à Tours). Il faut donc trouver une échelle de mesure qui permette de positionner la température du jour par rapport au zéro absolu et on pourra ensuite faire tous les calculs sots et grenus que l'ont veut. Et toc.

Et bien cette mesure existe ! Il s'agit des degrés Kelvin (on dit "kelvin" tout court d'ailleurs, depuis la Conférence Générale des Poids et Mesures de 1967 : j'imagine qu'à côté, l'ambiance régnant à la COP21, c'était Ibiza !), du nom de William Thomson Lord Kelvin, inventeur de son état et ayant vécu entre 1824 et 1907. Le symbole est le "K", comme celui de Buzzati.
Vous avez entendu vaguement parler de cette mesure de température mais êtes plus à l'aise pour dire, en dînant en ville, "Je caille, il fait -5°C aujourd'hui" ? Parfait, vous êtes comme tout le monde ! Je vais vous détailler l'échelle de Kelvin en partant de l'échelle des centigrades, PUIS des Celsius (si, si : la différence est subtile) dont le symbole est "°C". Retenez juste que :
- l'échelle des Celsius est un genre d'amélioration de celle des centigrades...
- ... et que l'échelle des Kelvin est un genre d'échelle de Celsius 2.0.

L'échelle des centigrades se détermine comme ça (dans des conditions normales de pression, un repère supposé galiléen, blablabla...) :
- repérez la température à laquelle l'eau se transforme en glace : appelez-la "0" ;
- repérez la température à laquelle l'eau s'évapore : appelez-la "100" ;
- divisez l'écart entre ces 2 températures en 100 intervalles égaux.
Là, vous avez l'échelle des degrés centigrades : "centi" comme 100 graduations de disponibles (ni plus ni moins).

Prolongez-la au-delà de 100 et en-deça de 0 avec vos petits intervalles et vous aurez l'échelle dite des degrés Celsius (c'est à dire un bon vieux thermomètre maison), du nom du suédois Anders Celsius qui a mis le souk dans la tête des gens de l'époque car il a fallu composer avec les chiffres négatifs quand on a très froid. Au XVII siècle, on avait un peu de mal avec le concept de chiffre négatif.

Bref, à mesure que l'on refroidissait la température pour voir ce qu'il se passait, on y arriva : ZE température où tout le monde se tient à carreau (même votre enfant au rayon jouet en décembre) : le zéro absolu. Un coup d'œil au thermomètre qui indique... -273,15°C ! Rien que ça, pas un temps à mettre le nez dehors.
Sachez juste qu'on ne peut pas arriver à cette température comme on arrive à mettre le four de la cuisine à 180°C pour cuire une ouiche lorraine (oui, j'ai écrit "ouiche") : on y arrive "asymptotiquement", c'est à dire qu'on s'en approche à chaque instant un peu plus, mais on ne l'atteindra que si on vit une infinité d'années. C'est donc un point théorique mais bien déterminé tout de même(1).

Pour en revenir à l'échelle des kelvin, on l'a donc déterminée comme ça :
- le zéro absolu est égal à "0 kelvin" ;
- "un kelvin" est égal à un degré Celsius (nos intervalles de tout à l'heure).
On a donc notre échelle :
- l'eau se transforme en glace à 0°C soit... +273,15 K !
- elle s'évapore à 100°C soit... 373,15 K (je ne mets pas le "+" devant car ce n'est pas la peine de le préciser : il n'y a pas de température négative en kelvin(2))
- vous n'avez pas de fièvre quand votre corps est à 37,5°C ou bien... 310,65 K (= 273,15 + 37,5)
- et ainsi de suite...

On arrive donc à indiquer le niveau d'agitation des molécules de l'air (i.e. la température) à partir d'une vraie référence (celle où rien ne bouge) grâce aux kelvin.



DONC, si on reprend notre problème de départ : aujourd'hui il fait 0°C (écharpe, bonnet, manteau) et demain, il fera 2 fois plus chaud : je m'habille comment ? Il faut donc trouver la température qui indique que les molécules d'air sont 2 fois plus agitées qu'aujourd'hui.

Et bien il fait aujourd'hui 273,15 K (= 0°C), donc demain, il fera 546,3 K (= 2 x 273,15) soit... 273,15°C (= 546,3 - 273,15) ! Rangez votre manteau et votre bonnet et sortez la combinaison en alu d'Haroun Tazieff parce que demain, ça va chauffer !

Alors comme on dit : "Debout les campeurs et haut les cœurs parce que ça caille aujourd'hui !"

Sachez enfin (et faites en ce que vous voulez) qu'il fait 2,7 K dans l'Univers, c'est à dire environ -270°C. Tout cela dépend bien sûr du degré de vide intersidérale où on se trouve : il peut faire beaucoup plus chaud dans les amas gazeux (car il y a beaucoup plus de molécules qui s'agitent par rapport au vide spatial) mais en gros, la combi du type qui sort réparer un panneau solaire de l'ISS doit pouvoir encaisser ça (non, ils font pas encore ça chez Quechua).


(1) on a en pratique jamais atteint la température de 0 K. On est parvenu à s'en approcher en obtenant 0,00000000045 K au MIT en 2003. Inutile de préciser qu'on n'atteint pas ce niveau avec une clim' classique.

(2) on le rappelle, la température est une indication du degré (!) d'agitation des molécules de l'air. Qui dit "agitation" dit "mouvement", et qui dit "mouvement" dit "vitesse". Et donc une température négative en kelvin supposerait une vitesse de déplacement des molécule de l'air... négative. Vous avez 2 heures, calculatrices interdites.

1 commentaire:

  1. Ah aha ha haha j'ai absolument TOUT compris ! et à la question du début j'aurais juste dit -8x2 ça fait -16, quoi. Bisous et merci je me sens plus scientifique avec plus d'humour...

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